Interview de François Gaulier

 » Un sculpteur, ça travaille la matière  »
Interview de François Gaulier par Véronique Bourget enseignante et Isabeau Gérard, Soline Harding, Julie Petit et Sophie Ung, élèves du Lycée Paul Bourget, 94170

François Gaulier est sculpteur. Il utilise différents matériaux. Ses sculptures vont du petit au monumental, de l’abstraction au figuratif. Elles sont conçues pour être exposées à l’extérieur même les plus petites.

Avez-vous baigné dans un milieu artistique quand vous étiez enfant ?
Non.
à partir de quel âge vous êtes-vous adonné à votre art ?
à vingt-deux ans.
Avez-vous pris des cours ou fait des études liées à votre art ?
Je suis autodidacte en art mais je sais compter, mesurer, calculer, dessiner et ça je l’ai appris à l’école; cela me sert pour créer mes sculptures
Vivez-vous de votre art ?
En partie, je travaille par ailleurs dans le domaine du design. C’est un pont avec les métiers de la création et une source de revenues. Je suis déclaré à la maison des artistes.
Quels obstacles avez-vous rencontrés ?
Il faut croire en soi, c’est le plus difficile.
Comment votre première œuvre artistique a-t-elle été reçue par le public ?
Exposer ses réalisations est très prétentieux; il faut l’accepter; c’est un privilège que l’on prend, le public joue le jeu avec encouragement et sympathie quand on commence.
Votre conception de l’art a-t-elle évolué ?
Je cherche toujours à ne pas ennuyer le spectateur même si je lui demande un peu d’attention. L’utilisation de matériaux différents fait évoluer ma pratique artistique. J’utilise le granit comme le bronze, l’aluminium ou le bois; l’acier se prête bien aux grandes sculptures. L’utilisation de ces matériaux différents, m’oblige à être en contact avec d’autres praticiens, des industriels ou des artisans pour comprendre leurs méthodes et apprendre un peu de leur savoir faire. Certains éléments de mes sculptures sont réalisées par des entreprises.
Peut-on faire de la sculpture comme Rodin? Rodin aurait très certainement utilisé la 3D, l’ordinateur. Le land art s’inscrivait hors des villes alors que 90% des êtres humains sont des urbains. Je cherche une sculpture qui s’inscrive dans la ville et à l’échelle de l’homme. L’architecture étant abstraite, mes sculpture sont à la frontière de l’abstraction et de la figuration toujours à l’échelle de l’homme et de l’architecture.
J’espère que ma conception de l’art va encore évoluer, c’est ce que je cherche aussi en créant les conditions de cette évolution.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans la pratique de votre art ?
Fabriquer un objet sans usage mais nécessaire à l’homme pour notre survie ; inscrire l’art dans l’espace publique, la ville, un parc, un jardin au contact direct du public.
Quelles sont vos autres passions ?
L’architecture, le bâtiment, le design, la préhistoire, l’ethnologie.
Vous paraît-il fondamental que vos enfants pratiquent un art ?
Fondamental ? Non, mais nécessaire si l’enfant en ressent la nécessité. La passion doit toujours exister évidemment, nous devons déjà transmettre cela
Avez-vous rencontré des personnes qui ont joué un rôle déterminant ?
J’ai été marqué par le sculpteur Ervin Patkaï qui a montré que l’on pouvait faire de la sculpture avec du béton. Je l’ai connu par des livres; il fut un déclencheur.
Certaines œuvres artistiques vous ont-elles marqué et influencé ?
Les oeuvres de Rodin, d’Henry Moore, des minimalistes américains et du Land Art.
Quels sont vos modèles en matière d’art ?
Mes modèles se situent entre l’abstraction et le figuratif, entre la ligne droite et la courbe : Rodin/Donald Judd, Frank Stella/Henry Moore pour ne citer que ces 4 sculpteurs
Quelle définition donneriez-vous d’un artiste ?
Une tête et des jambes pour s’enfuir au bon moment.
Vos œuvres naissent-elles de l’émotion d’un moment ou sont-elles le fruit d’une réflexion ?
Impulsion et réflexion, une certaine forme d’émotion, la mienne que nous souhaitons partager avec les autres lors d’expositions ou dans un parc, une place
Pensez-vous que le talent soit génétique ou déterminé par un certain environnement familial ou social ?
Il faut un peu de chance pour que les deux se croisent.
Le philosophe Hegel a dit que l’art était mort. Dans quelles mesures a-t-il raison ?
Nous ne sommes pas morts, l’émotion n’est pas morte.
Selon vous, quelle place et quel rôle a l’art dans notre société ?
Juste ce qu’il faut pour ne pas tomber dans l’abime; la société contrôle ce trop plein. Cela déborde parfois, l’histoire de l’art est plein d’exemples d’artistes maudits ou proche du pouvoir.
Pensez-vous qu’il existe une hiérarchie d’une part au sein des arts, d’autre part au sein d’un même art ?
Toutes les disciplines se valent. Après, il y a une hiérarchie sociale, intellectuelle. On peut le voir aujourd’hui où l’art conceptuel est sur représenté dans les expositions.
Pensez-vous que les artistes doivent s’engager ?
Prendre des risques, oui, un risque individuel dans mon cas.
Cela vous est-il arrivé de vous autocensurer ?
La difficulté est d’aller jusqu’au bout. Une sculpture est presque fini que l’on en commence une autre pour ne pas perdre le fil de la discussion. Se censurer, reviendrait à arrêter l’histoire que je suis en train de raconter; ce n’est jamais très positif de créer les conditions de la rupture.
Aux siècles précédents, il existait des courants artistiques. En ce début du XXIe siècle, en existe-t-il ?
Les courants artistiques d’aujourd’hui sont plus difficiles à voir car on est dedans, l’art étant aussi mondialisé; avec un peu de recul, on verrait autre chose. Le plus important est d’être en phase avec son temps.
Vous sentez-vous seul dans la pratique de votre art ou appartenant à une communauté d’artistes ?
Pas seul, un peu seul, c’est la nature de l’homme : l’empathie est une donnée du vivant.
Sartre écrit à la fin de son autobiographie Les Mots « nulla dies sine linea » (aucun jour sans écrire une ligne).
Exercez-vous votre art quotidiennement ?
Oui, mais on est parfois un peu lâche; il faut sans arrêt se reprendre, relancer la machine.
Etre artiste rend-il moins angoissé par la mort, dans la mesure où vous vous dites que votre œuvre vous survivra ?
On est trop occupé pour penser à la mort.
Avez-vous un thème qui vous obsède et qui est récurrent dans votre art ?
Des pistes, des chemins, oui, des thèmes que l‘on suit, d’autres thèmes que l’on cherche, que l’on croise et que l’on voudrait parfois oublier pour ouvrir d’autres voies.
Certaines de vos œuvres sont-elles des variantes d’une même oeuvre (comme Monet qui a peint de nombreuses versions de la cathédrale de Rouen) ?
Cette question des variantes serait à développer : fait-on toujours la même chose ? un travail s’appuie-t-il sur le précédent ou appelle-t-il le suivant ? faut-il chercher un ordre ? Une chronologie. Dans mon cas, il y a un peu de tout ça.
Certaines de vos œuvres sont-elles des réécritures d’œuvres d’autres artistes (comme La Fontaine qui a réécrit les fables d’Esope et de Phèdre) ?
Cela nous arrive à notre insu ; vivant dans une époque donnée, les travaux artistiques des autres nous influencent forcément ; inversement, on veut vivre complètement notre époque et la raconter à travers la sculpture, celle que je fais.
Avez-vous un projet artistique qui vous tienne à cœur et que vous comptez réaliser dans les années à venir ?
Je travaille depuis plusieurs année sur le thème des pierres dressées comme on peut le voir à Carnac ou Stonehenge en Angleterre; le Granit est très présent dans mes sculptures dés mes premières réalisations.
J’ai eu la chance de redécouvrir au Perreux sur Marne un Menhir, daté d’il y a 4000 ans. J’avais développé pour la mairie un projet pour raconter cette histoire, un moment de la préhistoire qui a vue le jour non loin du pont de Bry. Le menhir est toujours là et j’espère que l’on ne va pas l’oublier. L’art peut le réveiller.
Je souhaiterais arriver à réaliser ce projet. Merci de m’avoir posé cette question, nous y arriverons peut-être ensemble d’autant plus que ce menhir a été trouvé à 200m du Lycée Paul Doumer.
Pour quelle raison avez-vous choisi de vivre au Perreux ?
J’ai réussi à avoir un atelier au Perreux.
Etes-vous en relation avec d’autres artistes du Perreux ?
Oui, je fais partie du Nadir et d’autres groupes artistiques à Fontenay sous Bois et à Paris; j’expose par ailleurs dans toute la France.

Découverte de quelques sculptures de François Gaulier lors de l’exposition des artistes du Nadir au carré des Coignard

Un sculpteur travaille la matière. Autrefois, on sculptait la pierre; il reste peu de sculptures de l’antiquité en bronze car elles ont été fondues pour fabriquer au cours du temps des canons. Depuis le début du XXème siècle, on utilise d’autres matériaux l’acier par exemple comme l’a fait Picasso initié par Julio Gonzalez . J’exploite cette richesse des matériaux, que je choisis en fonction des projets. L’aluminium, le bronze est utilisé pour des formes plus rondes, l’acier pour des formes plus géométriques. La cire comme le polystyrène se prête bien au travail de la forme.

Quand on travaille en équipe tout est différent, chacun amène le meilleur de lui-même. Il se crée une émulation. C’est la même chose dans l’architecture ou le design, derrière Starck il y a peut être vingt personnes. Dans les ateliers de Rodin, le même esprit vivait. J’aime retrouver ces sensations à travers la réalisation d’une sculpture monumentale qui demandera beaucoup de compétences et un travail en équipe.

Je m’intéresse tout particulièrement à la sculpture pour l’extérieur, des sculptures monumentales, je n’aime pas les bibelots sauf pour les maquettes, étape nécessaire avant de réaliser un sculpture à grande échelle. Je cherche des sculptures qui résistent au temps. Chaque partie est boulonnée et construite séparément, pour que la sculpture puisse être fabriquée, démontée et transportée; une certaine esthétique issu du processus de fabrication s’en dégage .

Le processus de « variantes » est le même que celui de l’écriture. A partir d’une forme de base, comme Figures humaines, pourquoi ne pas faire des variantes d’un même idée, en fonction par exemple de l’orientation des éléments entre eux, de leur échelle, des matériaux? J’ai rendu un hommage abstrait à Queneau et à ses Exercices de style; le titre de la sculpture était : « Hommage à Raymon Queneau »; elle a été exposée l’été 2013 sur la place de la mairie du Perreux sur Marne à coté du jeu d’eau installé récemment.

Le socle est très important pour une sculpture : un socle aéré, en hauteur permet de magnifier le côté aérien de la sculpture. Il ne fait pas pour autant partie de la sculpture, c’est une frontière, un lien avec le sol avec la Terre car la sculpture n’est pas une abstraction.

Extrait de Passerelles des arts

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